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Un soir presque ordinaire

Un soir presque ordinaire

11-12-2018 à 22:09:44

Même la nuit de Noël, le service des urgences est prêt 
à toute éventualité.

 

18h : Tout le monde s’affaire, c’est l’heure des transmissions : les médecins de leur côté, les équipes soignantes (infirmières et auxiliaires) de l’autre, donnent à ceux qui sont de garde les informations sur les patients qui sont là, ceux qui sont hospitalisés pour la nuit, ceux pour qui l’on attend des résultats d’examens. On espère que la garde sera calme. Déjà trois familles attendent qu’on les inscrive… Les infirmières ont décoré chaque recoin de la salle d’attente pour donner de la joie aux murs tout gris.

22h30 : Deux parents déposent, paniqués, un couffin sur le comptoir d’accueil. En préparant la fête du soir, le papa a versé du rhum dans une carafe qu’il a laissée dans la cuisine. La maman de leur bébé de deux mois a préparé le biberon en utilisant le liquide translucide de la carafe… Au bout de quelques gorgées, Léa a recraché la tétine et la maman a réalisé son erreur. Léa dort très profondément dans son cosy. L’interne1 l’emmène au décho-cage2, branche le scope3, essaye de la réveiller, teste ses réflexes. Elle prescrit un bilan sanguin (une prise de sang) pour mesurer le taux d’alcool avalé, prévient le senior4 de garde qui vient examiner l’enfant. L’infirmière prépare une perfusion pour l’hydrater.

23h : Il y a du monde partout, l’ambiance est morose, chacun rêve de rentrer chez soi. Au box 2, est examiné Thomas, 12 ans, qui a une fièvre très forte et se plaint de maux de tête terribles depuis le matin. En lui penchant la nuque, le médecin déclenche une douleur violente : il va falloir faire une prise de sang et une ponction lombaire5 pour chercher une méningite (une infection de la membrane qui entoure le cerveau et la moelle épinière). C’est sérieux, Thomas voit bien que ses parents sont inquiets.

23h30 : Au box 4, un papa s’énerve contre un jeune interne qui lui prescrit « juste » du doliprane, après trois heures d’attente. Il voudrait des antibiotiques pour Chloé, 2 ans, qui a beaucoup de fièvre et ne veut pas croire l’étudiant qui lui explique que ce n’est pas nécessaire. Le senior vient à la rescousse en entendant des éclats de voix. Tandis qu’il parlemente, une sonnerie stridente retentit dans toutes les urgences et le papa voit, médusé, les deux médecins partir en courant : c’est la sonnerie d’urgence vitale, que les infirmières déclenchent quand un enfant arrive dans un état très grave.

Au déchocage, on installe un bébé d’à peine trois semaines. Mathis respire à toute vitesse, il est marbré, ses mains sont gelées, il est très pâle. Les gestes sont rapides, chacun sait ce qu’il doit faire : le scope indique que le cœur de Mathis bat à 250 pulsations par minute, l’électrocardiogramme (enregistrement de l’activité cardiaque) confirme que le bébé a une tachycardie supraventriculaire6 : son cœur ne régule plus son propre rythme, il ne le supportera pas longtemps. Il faut poser une perfusion directement dans le tibia de Mathis pour injecter très vite un médicament. La première perfusion passe ; entre-temps le réanimateur7 arrive, alors que le traitement n’a aucun effet. Il est calme et concentré, on recommence une injection. Quelques secondes après, le cœur ralentit… ralentit tellement qu’il faut le stimuler un peu avec un autre produit que l’infirmière tient déjà prêt, à la demande du réanimateur. Tout le monde respire, la maman de Mathis pleure, une auxiliaire la prend dans ses bras et l’emmène boire un peu d’eau. Mathis va monter en réanimation, il faut surveiller que cela ne recommence pas.

De retour dans les box : le papa de Chloé s’est calmé, l’alerte l’a secoué, il a compris. Les résultats de Thomas confirment une méningite, on commence une perfusion d’antibiotiques. Thomas sanglote, ce soir, il passera Noël à l’hôpital. Ses parents le réconfortent, ils n’ont plus qu’une préoccupation : que leur fils guérisse, très vite.

2h : Léa va bien maintenant, elle est réveillée, elle tête, se remet à sourire. Les prélèvements l’ont confirmé, elle a bien eu le temps d’avaler du rhum. Les parents sont catastrophés, l’équipe plaisante pour les détendre, il sera temps demain de les sermonner.

En salle d’attente, une infirmière entend un petit bruit entre les fauteuils du fond. En s’approchant, elle trouve une maman avec deux enfants de 5 et 7 ans, allongés à même le sol. Avec les médecins, quelques mots d’anglais, des gestes et de la patience, on découvre que ce sont des réfugiés, sans papiers, qui viennent d’Érythrée, en Afrique. Ils ne savaient pas où dormir : plus de place dans les foyers d’accueil. Le Samu social est débordé. On leur donne un repas chaud, on les installe sur des brancards avec des couvertures, c’est mieux que rien. Demain, il fera jour…

Pour l’instant, tous les patients ont été pris en charge, les soignants se retrouvent quelques minutes autour d’un magnifique gâteau fait par une ancienne de l’équipe. Certains ont été désignés pour cette garde, le médecin senior, lui, s’est porté volontaire : il n’a pas d’enfant et s’est mis au service de ses collègues qui en ont. Ce soir, c’est Noël aussi à l’hôpital : une lumière est allumée au cœur de la nuit.

 

1. Internes : Étudiants qui, après six ans d’études, préparent leur thèse pour être docteur en médecine.

2. Déchocage : Salle des urgences vitales (ce qui met en péril la vie de l’enfant), avec du matériel spécifique, plus de place ; on en garde toujours une de libre au cas où.

3. Scope : Appareil qui affiche et enregistre en permanence le rythme cardiaque, la tension, la saturation (c’est-à-dire le taux d’oxygène dans le sang). Il permet de surveiller de près l’état d’un patient.

4. Senior : Il est docteur en médecine, c’est lui qui encadre et forme les internes.

5. Ponction lombaire : Piqûre dans le dos pour prélever le liquide qui circule le long de la moelle épinière et autour du cerveau. En cas de méningite, on y trouve des bactéries ou des virus et des traces d’infection.

6. Tachycardie supraventriculaire : Le cœur bat trop vite et donc se fatigue et est moins efficace.

7. Réanimateur : Médecin du service de réanimation, où l’on soigne les patients dont la vie peut être en danger.

 

Anne-Sophie Biclet

 

Actuailes n° 93 – 12 décembre 2018


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