L’annonce par son entourage de la candidature du président algérien Bouteflika à l’élection présidentielle du 14 avril prochain pour un cinquième mandat a fait l’effet d’une bombe que nul n’avait vu venir.
En 2011, le monde arabe avait été secoué par une importante contestation sociale. C’est ce que l’on a appelé le « Printemps arabe ». Plusieurs dirigeants avaient été renversés en Tunisie, en Libye, en Égypte. Les manifestations, pour certaines, avaient dégénéré en guerres civiles qui ne sont toujours pas finies à ce jour en Syrie et en Libye. Mais à l’époque, l’Algérie avait été épargnée, aucune manifestation d’ampleur n’avait vu le jour. En effet, le pays avait souffert d’une terrible guerre civile dans les années 1990. En 2011, les Algériens n’avaient pas voulu revivre un tel cauchemar.
Mais les générations changent. Aujourd’hui, 50 % de la population algérienne n’a pas connu la guerre civile et la situation écono-mique1 dans laquelle ils vivent est fragilisée par la baisse des prix du pétrole. Ultra-connectés, ils ne peuvent s’empêcher de comparer leur situation sociale à celle des jeunes qui vivent en Europe. Ils veulent du changement.
Mais ce changement n’arrive pas, en particulier sur le plan politique. L’actuel président, Abdelaziz Bouteflika, occupe cette fonction depuis 1999. Il est âgé de 82 ans. Il a été victime d’un accident vasculaire cérébral en 2013 et se trouve depuis réduit à un état que beaucoup qualifient de végétatif. L’image d’un homme déambulant l’air absent, bouche ouverte et le regard hagard sur son fauteuil roulant lors de ses rares apparitions publiques a eu un effet désastreux dans l’opinion publique et a conforté nombre d’Algériens dans leur détermination de ne pas laisser passer cette nouvelle candidature à ce « cinquième mandat de la honte ».
L’annonce de sa candidature aux prochaines élections présidentielles a en effet mis le feu aux poudres. Des manifestations spontanées ont d’abord commencé à fleurir dans les villes secondaires pour dénoncer ce nouveau coup de force du clan Bouteflika. Puis le 22 février, 100 000 manifestants ont défilé dans les rues d’Alger. Le 26 février, les étudiants ont rejoint le mouvement qui se propage sur les réseaux sociaux. Les slogans sont clairs : « Pas de cinquième mandat pour les morts ! Une république, pas un royaume ! Bouteflika, dégage ! »
Devant la colère populaire, le président Bouteflika a fait lire dimanche 3 mars dernier une lettre à la télévision algérienne disant qu’il s’engageait, s’il était réélu, à organiser des élections anticipées avant le terme de son mandat et à lancer des réformes importantes dans le système politique algérien. Beaucoup voient dans cette promesse un signe de faiblesse de la part du clan au pouvoir et une volonté de gagner du temps afin d’organiser eux-mêmes la transition post-Bouteflika.
La France regarde avec inquiétude les turbulences qui couvent chez son voisin au sud de la Méditerranée : la présence de millions d’Algériens en France fait craindre en plus haut lieu, une flambée de violences en Algérie qui pourraient s’exporter dans l’Hexagone. Nombreux sont ceux qui se souviennent que la métropole – et plus particulièrement les rues de Paris – avait été, durant la guerre d’Algérie, le théâtre d’une guerre sans merci entre factions indépendantistes algériennes. Plus récemment, la guerre civile algérienne des années 1990 avait largement débordé en France, avec comme point culminant les attentats de Khaled Kelkal dans le métro parisien en 1995 et la prise d’otages d’un avion d’Air France à l’aéroport de Marseille, lors de laquelle, devant les caméras du monde entier, le GIGN avait mis hors d’état de nuire les terroristes du GIA.
Abu Nuwas et Sacha Balbari
Actuailes n° 96 – 6 mars 2019
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