Cher Matteo,
Quelle nouvelle douloureuse et quelle perte pour nous tous ! Léonard de Vinci vient de s’éteindre au manoir du Clos Lucé. Il était déjà souffrant lorsqu’il est arrivé en France il y a trois ans et la maladie vient de l’emporter. Le roi François Ier est inconsolable. Il l’admirait tant et s’était réjoui que Léonard ait accepté son invitation à résider en France après leur rencontre lors d’une entrevue avec le pape Léon X.
En tant que premier peintre, premier ingénieur et premier architecte du roi, Léonard de Vinci était installé à proximité du château d’Amboise, demeure du roi. Lorsqu’il est arrivé, il avait emporté avec lui nombre de documents relatifs à ses recherches et quelques toiles admirables dont Saint Jean-Baptiste, La Vierge, l’enfant Jésus et sainte Anne et la Joconde dont le sourire intrigue et fascine. Il faut dire que sa technique du sfumato (« embrumé ») qui adoucit les contrastes et améliore le réalisme des paysages ou des portraits a atteint son apogée avec cette œuvre.
Mais, comme tu le sais, son génie ne se limitait pas à la peinture. C’était un homme complet. Il s’intéressait à tout. Organisateur de spectacles et de fêtes somptueuses pour le roi, scientifique, ingénieur, inventeur, anatomiste, sculpteur, architecte, urbaniste, botaniste, musicien, poète, philosophe et écrivain : c’était un esprit universel.
En tant qu’élève, j’ai pu observer et apprendre à son contact ce que je n’aurais pu apprendre auprès d’aucun autre. J’ai eu ainsi la chance d’étudier ses différents projets techniques : métier à tisser, machine à polir les miroirs, scaphandre à casque pour évoluer sous les eaux lorsqu’il avait été engagé par Venise pour mettre au point la défense de la ville, engins volants, machines hydrauliques, flotteurs pour marcher sur l’eau, pont mobile pour les armées, étude sur l’irrigation des cultures par les fleuves et les canaux, étude sur la lumière… Léonard observait beaucoup et dessinait tout ce qu’il rencontrait : plantes, mécanismes, animaux (son étude sur le vol des oiseaux l’a passionné et a inspiré toutes ses études sur les engins volants) et humains dont il étudia l’anatomie avec précision. Son croquis L’Homme de Vitruve en est un parfait exemple.
J’ai suivi ce maître hors du commun pendant de longues années et je puis dire même que j’ai été son ami. C’est à moi qu’il a légué les milliers de documents qui composent son œuvre. Je suis le dépositaire d’un savoir immense et il me revient de le faire connaître. Mais le pourrai-je ?
Ton ami,
Francesco Melzi
Actuailes n° 99 – 1er mai 2019
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