Je lus alors dans les yeux du vieil Arthur que son histoire était vraie, de A à Z ! Il me raconta sa guerre à mon âge, son insouciance au début de sa prise de « fonction », puis l’effroi, la tristesse et enfin la peur, mais la volonté d’aider toujours et malgré les risques. Il comprit que toute tâche est importante, utile, même la plus répugnante. Il comprit qu’il valait mieux utiliser son imagination en essayant de faire naître un sourire aux plus éprouvés. Puis, à mon grand étonnement, il me parla de monsieur Callichon et c’est le seul moment où il baissa la tête :
- J’ai voulu revoir monsieur Callichon pour m’excuser et même le remercier !
La guerre était terminée... Je suis allé sonner chez lui, une jeune fille de mon âge entrouvrit la porte avec frayeur. J’affichais mon plus joli sourire, prenait ma voix la plus douce et me présentai : « Bonjour, je suis Arthur, je voudrais voir monsieur Callichon, j’étais un de ses élèves, avant la guerre. »
Elle me regarda, elle savait qui j’étais, son père lui avait beaucoup parlé de moi ! Il avait trouvé ma dernière plaisanterie très ingénieuse,
mais elle l’avait blessé physiquement et moralement. À cause de cela, il n’avait pas pu partir à la guerre et beaucoup de ses voisins ne lui avaient pas pardonné, pensant qu’il feintait. Jusqu’au jour où l’un d’entre eux perdit son fils... Il est devenu fou et... elle n’en dit pas plus, j’avais compris. »
La chambre était plongée dans la pénombre. Cela faisait très longtemps que j’étais avec Arthur. Nous étions tous les deux tête penchée, dans nos pensées ! Puis enfin, il releva la tête avec un air malicieux et continua :
– Elle s’appelait Jeanne ! Elle était si jolie !
Toute ma vie, je lui ai demandé pardon, toute sa vie, elle m’a dit que son père, de là-haut, devait être ravi de m’avoir comme gendre, que c’était ma punition !
Monsieur Callichon avait été un professeur discret, doux et rêveur. Monsieur Callichon avait été un père affectueux, ferme mais aimant et... farceur ! C’est lui qui avait eu l’idée de l’hôpital ! Il avait un journal intime, il avait écrit sur moi... il est toujours resté vivant dans ma mémoire et dans celle de mes enfants... ses petits-enfants !
Arthur me sourit, je lui rendis son sourire et parlai enfin :
– Arthur, vous permettez que je vous appelle Arthur ? (Il me sourit.) Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai jamais fait attention aux billes, j’ai même joué un jeu dangereux avec elles ! Mais, je crois qu’à moi aussi, elles m’ont changé la vie.
Je ne pus rien ajouter, je ne voulais pas rompre ce charme qui nous enveloppait tous les deux. Ses paupières commençaient à se faire lourdes, alors je me levai doucement, l’embrassai sur le front et dit :
– À demain, Arthur ! Je ferai attention aux billes en sortant.
Marie Foliot
Actuailes n° 108 – 11 décembre 2019
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