La Chartreuse se met au vert

Dans un monde économique où le profit tient souvent lieu d’unique boussole, une PME mondialement connue a décidé de bloquer sa croissance pour des raisons éthiques, environnementales et de préservation de son temps de prière.

Un succès ancestral

En l’an 1084, Bruno le Chartreux, futur Saint Bruno, demande à l’évêque de Grenoble de lui concéder des terres dans le massif de la Chartreuse, au-dessus de Grenoble. Le monastère actuel de la Grande Chartreuse est érigé en 1133. De nos jours, une trentaine de moines y consacrent leur vie à la prière et la recherche de Dieu. Depuis 1764, les chartreux élaborent des liqueurs qui ont acquis une grande renommée. La recette de cet élixir végétal aux 130 plantes serait issue d’un mystérieux parchemin reçu en 1605. Des salariés civils produisent cet alcool dans une usine, mais ils sont supervisés par trois moines qui sont les seuls au monde à connaître les ingrédients et la recette.

Une renommée mondiale

L’exportation se faisant d’abord à dos d’âne, la commercialisation de la Chartreuse est au début limitée aux villes proches de Grenoble et Chambéry. Le succès est au rendez-vous, et l’élixir conquiert progressivement la France. Mais le succès dépasse ensuite nos frontières, en particulier du fait de l’utilisation de la liqueur pour des recettes raffinées. Le soir du naufrage du Titanic, le 14 avril 1912, un dessert à base de Chartreuse était ainsi au menu des premières classes : des pêches en gelée de Chartreuse. Aujourd’hui, un million de bouteilles sortent de l’usine chaque année, consommées en apéritif, en digestif ou pour des recettes de cuisine. La moitié de la production est vendue à l’étranger, les Américains en raffolant. Les moines produisent de la Chartreuse jaune ou verte, mais également de l’alcool de noix, du génépi et des liqueurs de fruits. Achetées dans le commerce aux alentours de 40 €, les bouteilles anciennes peuvent atteindre des sommets. Datant de 1953, deux bouteilles ont été récemment adjugées à 35 000 € lors d’une vente aux enchères.

Un développement maîtrisé

Les moines détiennent 100 % de l’entreprise. À leur tête, le Révérend Père Dom Dysmas de Lassus a décidé un virage radical. Il a demandé d’arrêter d’augmenter la production pour préserver la planète, la vie des employés et permettre aux religieux retrouver du temps de prière. Pour Dom Dysmas « la croissance infinie n’est plus possible ». L’entreprise va se diversifier dans l’herboristerie afin de produire des tisanes et des plantes médicinales avec trois autres monastères chartreux de France. L’objectif est de « préserver et prendre soin de la Création ». Enfin, afin de limiter la pollution, les bouteilles expédiées aux États-Unis emprunteront un bateau à voile.

Entreprise originale aux traditions ancestrales, la Chartreuse est un bel exemple de réussite économique qui n’oublie pas sa vocation première.

Pour aller plus loin : L’histoire de la Grande Chartreuse en BD, Éditions Glénat. 11,95

Julien Magne

Actuailes n°160 - 29 mars 2023