La loi de programmation militaire doit fixer le cap pour les armées françaises jusqu’en 2030. Permettra-t-elle de donner à notre pays l’armée dont il a besoin ?
Sébastien Lecornu, ministre des Armées, a présenté les principaux efforts pour les armées : dissuasion nucléaire, renseignement, drones, défense sol-air, robots... Le budget annoncé est de 413 milliards d’euros sur la période 2024-2030. C’est maintenant aux députés et sénateurs de se pencher sur ce projet de loi.
Une armée à consolider
Depuis 1991, et la fin de la menace de l’Union soviétique, les armées ont vu leur budget et leurs effectifs diminuer. Le président Chirac a suspendu le service militaire en 1997. La France disposa alors d’une armée de professionnels. Leurs missions étaient de pouvoir intervenir rapidement dans le monde, comme en Afghanistan en 2002 ou au Mali en 2013. Il ne s’agissait plus alors d’affronter de grandes masses de chars venant de Russie, mais des bandes de terroristes faiblement armés. Il semblait donc inutile de garder des centaines de chars d’assaut et de canons, ou d’immenses stocks de munitions.
Le retour de la guerre de haute intensité
Depuis quelques années, on assiste dans le monde au retour de guerres de haute intensité. Elles sont marquées par l’utilisation massive de l’artillerie, des drones et des chars. Et elles opposent des armées d’un niveau égal. La guerre en Ukraine en est un bon exemple, la bataille de Bakhmout ressemblant aux batailles de la Seconde Guerre mondiale, comme Stalingrad. En Ukraine, on assiste à la reconstitution de réseaux de tranchées et à des duels d’artillerie, comme pendant la Première Guerre mondiale. Pour gagner, il faut donc beaucoup de canons et d’obus, mais aussi une grande quantité de drones et de missiles sol-air. On estime que les Russes tiraient plus de 100 000 obus par jour au début de leur invasion de l’Ukraine.
Une armée qui manque de masse
L’armée de Terre ne compte plus que 77 000 combattants. La Marine dispose de 116 bâtiments et l’armée de l’Air de 195 avions de chasse. Mais beaucoup de matériels sont anciens, comme les VAB ou les AMX 10 RC pour l’armée de Terre, qui ne détient qu’une quarantaine de canons CAESAR et presque plus de lance-roquettes, pourtant essentiels, comme on le voit en Ukraine. Enfin, il y a un gros retard sur les drones. La Marine doit remplacer de nombreux bateaux, dont ses patrouilleurs, et l’armée de l’Air disposer de plus d’avions Rafale. Les stocks de munitions doivent être reconstitués pour pouvoir faire face à un conflit long.
La dissuasion nucléaire
La base de notre défense repose sur la dissuasion nucléaire. Il s’agit de notre capacité à frapper avec une bombe nucléaire un ennemi qui menacerait les intérêts vitaux de la France. Comme les dommages effectués par une bombe atomique sont immenses, le nucléaire est considéré comme une « assurance-vie » qui dissuade tout pays de s’attaquer à la France. Les bombes atomiques peuvent être emportées sur un sous-marin (de la Marine) ou un avion de chasse (de l’armée de l’Air). L’arsenal nucléaire coûte très cher et va capter une grande partie de la loi de programmation militaire pour être modernisé.
Les efforts de cette loi
Outre le nucléaire, un des premiers efforts porte sur les services de renseignement. Ils doivent permettre à la France d’anticiper de manière autonome les futures guerres. Cela signifie que l’on souhaite ne pas dépendre des États-Unis pour prendre une décision. Un second effort porte sur les drones et les robots, pour lesquels nous sommes très en retard. Cette loi veut également renforcer les forces spéciales et nos troupes en outre-mer, comme en Nouvelle-Calédonie, par exemple. La défense sol-air – c’est-à-dire les missiles capables de détruire avions et hélicoptères – pourrait bénéficier d’un effort financier. Mais beaucoup de militaires sont déçus. La Marine espérait disposer de navires supplémentaires, et l’armée de l’Air voir grossir sa flotte de Rafales. Pire, l’armée de Terre va voir être retardé le renouvellement de ses principaux véhicules, comme les Jaguar, Griffon et Serval. La France va encore alléger son dispositif militaire en Afrique, en se concentrant sur la formation des armées africaines.
Les limites
Mais, en dépit des menaces qui se rapprochent, et du besoin de moderniser notre armée, la France manque d’argent. Or une armée moderne coûte cher. Notre pays est très endetté et subit les ravages de la hausse des prix, appelée inflation. Les équipements militaires sont encore plus touchés par celle-ci, car ils sont très consommateurs d’électronique et d’acier, qui ont vu leurs prix exploser. De plus, les entreprises de défense, comme Nexter ou Thales, n’ont pas d’usines adaptées pour produire plus. Les commandes de l’État ayant été faibles durant les 30 dernières années, elles doivent désormais s’adapter pour augmenter leur production. Mais cela va prendre du temps.
L’heure des choix
Le projet de loi de programmation militaire est désormais connu. Les députés et les sénateurs sont donc en train de l’étudier. Ils vont proposer au vote des amendements, qui sont des modifications du projet initial. Beaucoup de ces amendements coûtent cher et vont donc nécessiter des choix financiers au profit des armées. Mais n’y a-t-il pas de meilleur investissement que dans des armées qui garantissent la paix du pays et de ses alliés ? N’est-ce pas avant tout le rôle d’un Etat que de disposer d’une armée moderne pour appuyer sa politique ? La France peut-elle encore attendre pour se lancer dans les chantiers de l’intelligence artificielle, de l’espace ou de la robotique ?
Nul doute que cette loi va provoquer des débats à l’Assemblée nationale. Espérons qu’ils aboutissent à donner à la France l’armée dont elle a besoin pour les 10 prochaines années.
Julien Magne
Actuailes n°162 - 24 mai 2023
Actuailes 2024 © Tous droits réservés. Conditions d'utilisation with & by Website-modern - Se connecter