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Vivre libre

17-10-2023 à 15:24:06

François était un rebelle. Il avait déjà été renvoyé de quatre collèges: «Mon fils ne supporte pas la contrainte», se désespérait sa mère. Il ne reconnaissait l’autorité d’aucun chef (il avait quitté sa troupe scoute pour cette raison), et obéir était pour lui une épreuve insupportable.  

«Je suis libre», clamait-il à qui voulait l’entendre – jusqu’au jour où il franchit la porte de la Citadelle. 

Un sculpteur s’avança vers lui, son burin à la main: «Lorsque moi, sculpteur, j’ai fondé un visage, j’ai fondé une contrainte. Sans obligation de nez et d’oreilles, tu n’es point libre du sourire de ta statue.» 

Un poète lui tendit son cahier noirci de rimes merveilleuses: «Ne me parle pas de la liberté des mots d’un poème. Je les ai soumis les uns aux autres selon tel ordre qui est le mien.» 

Un musicien lui confia son violon: «Sans instrument, tu n’es point libre dans la direction de tes mélodies.» 

Et le bâtisseur lui montra ses plans: «Ne me parle pas de la liberté des pierres. Car alors il n’est point de temple.» 

François commençait à comprendre qu’il avait peut-être eu tort de distinguer les contraintes de la liberté… 

«Plus je trace de routes, plus tu es libre de choisir», poursuivit le bâtisseur. «Or chaque route est une contrainte, car je l’ai flanquée d’une barrière. Mais qu’appelles-tu liberté s’il n’est point de route entre lesquelles il te soit possible de choisir? Appelles-tu liberté le droit d’errer dans le vide? En même temps qu’est fondée la contrainte d’une voie, c’est ta liberté qui s’augmente.» 

Le sculpteur, le poète, le musicien, et le bâtisseur regagnèrent les pages de Citadelle, le dernier ouvrage d’Antoine de Saint-Exupéry, et François s’endormit du sommeil du juste, jusqu’à ce que résonne son réveil.  

Un murmure encourageant accompagna sa nouvelle journée: «Tu le vois heureux, celui-là qui dit: “J’ai entendu l’appel qui est pour moi et je me lève.” Mais, pour les autres, il n’est chant de cloche ni de clairon et ils demeurent tristes. La liberté pour eux n’est que liberté de ne point être.» 

François se leva joyeusement. Ce fut son premier matin de vraie liberté. 

Inès de Chantérac

Actuailes n°166 - 18 octobre 2023


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