Les joies de la conversation

• Ça va, Brutus? Tu as passé de bonnes vacances?  

• Oui, je vais te raconter! Mais tu as vu le front de Quentin, ce matin? Il est plein de boutons… Et son pull, trop moche! Attention, il va venir nous parler si tu le regardes. Ah oui, mes vacances: je suis parti skier avec ma famille, on a eu un temps magnifique, des tonnes de neige, et je n’ai fait que des pistes noires; mais pas mon frère, il est nul. J’ai des courbatures aux mollets et ma flèche d’or! Normal que je l’ai eue du premier coup, j’étais le meilleur de tout le groupe… 

Les vingt minutes de la récréation s’écoulent vite: Brutus raconte les menus de sa semaine de vacances, ses bonnes notes, sa nouvelle coupe de cheveux, le travail de son père, le concert de sa cousine, le dernier film qu’il a vu. Angelico l’écoute gentiment, se réjouit de ses succès et s’intéresse sincèrement à lui.  

La cloche sonne. Angelico est déçu, parce qu’il aurait bien aimé partager avec Brutus la joie de la naissance de sa petite sœur, venue au monde hier! Il aurait cherché aussi un peu de consolation, parce que ce nouveau bébé ne rentrera pas tout de suite à la maison: la petite fille est née plus tôt que prévu, et devra rester de longues semaines à la maternité.  

Le verbe «converser» signifiait «vivre avec» avant de désigner un échange de paroles; Brutus a vécu surtout avec lui-même pendant ce dialogue, ou plutôt ce monologue dont Angelico était le spectateur… 

Pour une conversation réussie, donnons le dernier mot au Chevalier de Méré: «Celui qui parle ne doit guère songer qu’à rendre heureux celui qui l’écoute» ... et inversement! 

Inès de Chanterac

Actuailes n°171 - 31 janvier 2024