La colère des agriculteurs a éclaté dans l’ensemble du pays. Quelles en sont les raisons?
Comme Actuailes vous l’avait annoncé dans ses deux derniers numéros, la colère grondait dans les campagnes face à des politiques qui «marchent sur la tête». Les agriculteurs avaient retourné les panneaux de signalisation à l’entrée et à la sortie des villages. Pacifique, cet appel n’a pas été écouté par le gouvernement, qui doit désormais faire face à des agriculteurs qui peuvent aller très loin, car, comme ils le disent, «ils n’ont plus rien à perdre». Actuailes vous explique pourquoi.
Les blocages
Après avoir épuisé tous les moyens pacifiques pour attirer l’attention du gouvernement sur leur situation très grave, les agriculteurs ont décidé de passer à la vitesse supérieure en bloquant les routes principales du pays. Avec leurs tracteurs, des pneus enflammés et des bottes de foin, ils ont occupé des ronds-points, routes et autoroutes, encouragés par de nombreux automobilistes et routiers. Ils ont déversé également des pneus et des fruits pourris devant des grands magasins, surtout Leclerc, des agences du Crédit Agricole ou des bâtiments administratifs. À Pamiers, dans l’Ariège, un blocage a engendré un drame, une agricultrice et sa fille ayant été tuées par une voiture qui a foncé sur eux.
De multiples raisons
Le monde paysan subit une crise profonde qui conduit à l’épuisement, comme en témoigne le suicide de deux agriculteurs chaque jour. Toujours passionnément attachés à leurs terres, les paysans ont de plus en plus de mal à en vivre. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas dans les banlieues qu’il y a la plus grande pauvreté en France, mais dans les campagnes. Alors qu’ils travaillent plus de 70 heures par semaine, des agriculteurs peinent à gagner plus de 1000 € par mois. Il y a beaucoup de raisons à cela et cela ne peut plus durer.
Les agriculteurs souhaitent tout d’abord une meilleure rémunération. Leurs revenus ont en effet baissé de 40% en 30 ans, car leurs produits sont achetés à bas prix avant d’être revendus en supermarché. Nous allons prendre l’exemple du lait. Il y a en France 5000 éleveurs et 762 laiteries. Cette année, leur lait est en moyenne acheté 0,4€ par litre, et revendu 1,07€ en brique dans un magasin, soit 2,6 fois plus cher. Est-ce bien juste et justifiable? Ils demandent donc une meilleure répartition des bénéfices entre les magasins et eux.
L’autre grande revendication est la diminution des réglementations en provenance de l’Union européenne, édictées au nom de l’écologie. Les agriculteurs ont de plus en plus de mal à faire leur métier, et ils sont très souvent contrôlés. Pour avoir enlevé des branchages, un agriculteur des Vosges a par exemple été condamné pour destruction de l’habitat des castors. Il est désormais difficile de curer un fossé ou de tailler une haie.
L’interdiction de nombreux produits chimiques a de lourdes conséquences sur les productions, et certaines doivent s’arrêter. C’est le cas des cerises, pour lesquelles les arboriculteurs utilisaient un produit pour empêcher les mouches de les abîmer en y pondant des œufs. Ce produit a été interdit, car considéré comme mauvais pour la santé. La production des cerises françaises s’est écroulée. Mais, pour remplir les étals des supermarchés, la France importe des cerises de pays qui utilisent ce produit chimique interdit en France. On marche effectivement sur la tête. Et ce genre de situation se rencontre pour d’autres fruits, légumes ou pour la viande.
Ensuite, les agriculteurs demandent un allègement des demandes de l’administration afin de passer moins de temps à remplir des papiers et plus de temps dans leurs champs.
Les agriculteurs demandent enfin une meilleure reconnaissance. Ils ont la noble tâche de nous nourrir et d’entretenir notre belle campagne. Et ils en ont assez d’être méprisés par l’administration, certains médias et une frange de la population.
La suite
Le gouvernement dit comprendre la colère des agriculteurs et vouloir y apporter rapidement des réponses. Le premier ministre Gabriel Attal s’est rendu au contact des agriculteurs.
Il leur a annoncé de nombreuses mesures pour simplifier leur vie administrative. Il a surtout déclaré qu’il n’y aurait finalement pas d’augmentation des taxes sur le gazole non routier (réservé aux agriculteurs). Voulue pour des raisons écologiques afin d’inciter les agriculteurs à moins polluer avec leurs tracteurs, cette décision du gouvernement aurait été catastrophique car un tracteur consomme 45litres de gazole par heure. La hausse des taxes aurait donc encore plus appauvri les paysans, qui n’ont pas de solution alternative, les tracteurs électriques n’existant pas. Mais ces annonces suffiront-elles pour calmer la colère des campagnes? On peut en douter.
Il y a en effet une grande contradiction entre les annonces du gouvernement et sa politique écologique, européenne et économique, à laquelle il ne souhaite pas renoncer. Tout d’abord, une grande part des décisions qui nuisent aux agriculteurs sont prises à Bruxelles par l’Union européenne, en totale cohérence avec la politique écologique et européenne du président Macron. Pire, le gouvernement français est souvent celui qui propose et soutient les mesures les plus défavorables aux agriculteurs, et qui les alourdit encore quand elles doivent être appliquées en France. Soutenu par son électorat, le gouvernement ne souhaite en aucun cas renoncer à son programme écologique. Il a été élu pour cela, et il est tout à fait normal et plutôt sain en démocratie d’appliquer son programme.
Sur le plan économique, la France a signé de nombreux traités qui ne peuvent pas lui interdire d’importer des productions agricoles du monde entier. Peu importe si elles ne respectent aucune des règles imposées à nos agriculteurs, et peuvent être dangereuses pour notre santé. Et, comme elles sont moins chères, elles tirent les prix vers le bas.
De nombreux agriculteurs doutent donc de la sincérité du gouvernement, fatigués de toutes les promesses non tenues ces dernières années. Ils sont soutenus par 90% des Français, qui voient bien le danger pour l’avenir. Et d’autres professions pourraient les rejoindre pour bloquer les routes. Il y a tout d’abord les pêcheurs, ceux du golfe de Gascogne étant interdits de pêche pour un mois afin de protéger les dauphins. Il y également les métiers touchés par la hausse du gazole, comme la construction et le transport routier.
En conclusion, le monde agricole exprime une grande colère et attire notre attention avant de mourir. Or cette disparition serait catastrophique pour nous tous, comme le rappelait d’ailleurs le premier ministre, car «la France sans l’agriculture, ce n’est plus la France». Qui nous nourrirait alors? Espérons que cet appel au secours soit réellement entendu, car il y va de l’avenir de la France, nation agricole comme le rappelait le duc de Sully avec son célèbre « Labourage et pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée», et qui a longtemps pris soin de ses paysans, à l’image du roi HenriIV qui voulait «qu’il n’y ait si pauvre paysan en mon royaume qu’il n’ait tous les dimanches sa poule au pot».
Actuailes n°171 - 31 janvier 2024
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