La porcelaine fait la réputation de la Chine depuis le Moyen Âge.
Il fallut attendre le XVIIIe siècle pour que l’Europe en produise. C’est l’un des tout premiers cas d’espionnage industriel; il porte la marque du génie français!
Le kaolin, l’ingrédient secret
Jingdezhen, dans le sud de la Chine, est la capitale mondiale de la porcelaine, ainsi nommée par des marchands italiens pour sa ressemblance avec le coquillage. Fruit d’un savoir-faire millénaire, sa fabrication a deux secrets: les matières premières et la cuisson.
La ville est entourée de hautes collines («Gao-Ling» en mandarin), riches d’une argile spécifique blanche et pure: le kaolin. Mélangé à d’autres minéraux, le kaolin donne à la porcelaine sa dureté, mais aussi sa pureté et son éclat translucide… pourvu que la cuisson soit faite à très haute température (plus de 1200 °C) !
C’est ce que permet le «four dragon», un four à bois construit à flanc de colline. Avec le foyer en bas et la cheminée en haut, il permet d’atteindre différentes températures, et il fonctionne d’autant mieux que la pente est raide. Les plus longs «fours tunnels» mesuraient près de 135 m, permettant de cuire plusieurs milliers de pièces: des quantités industrielles!
La perfection de l’art est atteinte au XIVe siècle, sous la dynastie des Ming. C’est à cette époque qu’apparaissent les fameuses porcelaines blanches et bleues qui circulent sur les routes commerciales entre Orient et Occident, jusqu’à la cour des grands souverains européens. Les potiers du Vieux Continent, qui ne savaient travailler que des céramiques tendres, découvrent ces porcelaines dures. Un monopole chinois qui va durer près de 400 ans…
Le missionnaire français, l’agent secret
Né à Limoges en 1664, le père jésuite François Xavier d’Entrecolles arrive en Chine en 1698 pour évangéliser l’Empire du Milieu. Son apostolat le conduit naturellement dans le poumon économique du pays; il a pour mission de gagner des âmes et de percer pour la couronne de France le secret de la finesse et de la transparence de la porcelaine.
Il compte dans sa paroisse de nombreux ouvriers des manufactures, dont il recueille les «confessions». Avec des échantillons de kao-ling, il adresse à ses correspondants en France deux lettres en 1712 et 1722 dans lesquelles il décrit toutes les étapes de la fabrication; sans jamais éveiller la méfiance des autorités, car animé des meilleures intentions.
On connaît la suite: le premier gisement d’argile kaolin est découvert près de Limoges en 1767, et racheté par Louis XV en 1769, faisant de la fabrication de porcelaine un privilège royal… et un commerce lucratif! Entre-temps, le procédé est aussi arrivé en Europe centrale, où seront produites les premières porcelaines de Saxe. Les grandes manufactures se développent au XIXe siècle; leur production fait encore aujourd’hui la réputation des arts français de la table... et l’admiration jalouse des Chinois!
Emmanuel
Actuailes n°180 - 2 octobre 2024
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