Deuxième partie 

Dans la première partie, un drôle de personnage a fait son apparition dans un petit village paisible. Il s’agit d’un irrésistible marchand de rêves. Il tient les habitants du village dans une dépendance telle que ceux-ci lui ont donné toutes leurs économies et leurs biens, pour se procurer des rêves. 

Il y avait près du village un vieil homme assez singulier. Il vivait dans la solitude, à l’écart dans une grotte dont il ne sortait que de temps en temps pour mendier de quoi manger et se vêtir. Malgré l’étrangeté de sa vie, les villageois l’aimaient bien, et ils se montraient généreux avec lui.  

Seulement, depuis que la population du village ne vivait plus que pour acheter des rêves, plus personne ne faisait attention à lui. En effet, le pauvre homme ne recevait plus de dons comme auparavant. Il vint donc se plaindre auprès des villageois de leur changement d’attitude: 

• Pourquoi ne me donnez-vous plus de quoi manger et me vêtir?» 

Quelqu’un finit par lui répondre:  

• Nous n’avons plus rien à te donner! 

• Plus rien?, s’exclama le vieillard. Comment cela se fait-il? 

• Eh bien, l’argent que nous gagnons nous sert désormais à acheter des rêves. 

• Et à qui donc achetez-vous ces rêves?, questionna le vieux marginal. 

• Nous les achetons à un marchand vraiment formidable! Cet homme a transformé nos vies en nous vendant ses rêves. Et même, lorsque nous nous sommes retrouvés à court d’argent, il a accepté de nous donner des rêves en échange de nos commerces, nos fermes, nos champs et tous nos biens. 

• Vraiment?, demanda le vieillard. 

• Oui, oui!, confirma son interlocuteur. Et puis, comme nous lui avons donné tout ce que nous possédions, il nous a aimablement proposé de travailler pour lui. Ainsi, nous pouvons continuer à lui acheter des rêves. 

• Tout cela est grotesque! Ce marchand vous a vraiment bien eus! 

• Comment? Prétends-tu que ce marchand se serait moqué de nous? 

• Je ne prétends rien, je ne fais que constater! 

• N’es-tu pas plutôt jaloux de ne pas pouvoir t’acheter des rêves comme tout le monde, pauvre que tu es? 

Et toutes les personnes présentes se mirent à rire du pauvre homme. Mais lui reprit: 

• À quoi me serviraient des rêves? Je me contente d’un peu de nourriture et de quelques vêtements, et vous devriez en faire autant. D’ailleurs, vous voilà devenus aussi pauvres que moi. Peut-être même davantage, puisque vous ne vous possédez même plus vous-mêmes. Si vous continuez ainsi, tout cela va mal finir! 

Après avoir dit cela, le vieil homme prit congé et décida d’aller mendier ailleurs. Les habitants du village ne tinrent pas compte de son avertissement. Ils se disaient entre eux qu’il n’y avait pas de quoi prendre au sérieux les propos «délirants» d’un simple marginal. D’autant plus que le marchand de rêves leur semblait tout à fait fiable. La vie continua donc ainsi dans le village, les villageois travaillant pour le marchand du matin au soir, et lui, leur distribuant des rêves tous les jours en fin de journée. 

Mais une nuit, alors que le village était profondément endormi, un incendie démarra dans un petit entrepôt. Les villageois rêvaient si bien que personne ne se rendit compte du feu qui menaçait pourtant de s’étendre à toutes les maisons. Le marchand, qui dormait là cette nuit, se réveilla en sursaut. Il n’essaya même pas d’éteindre l’incendie pour sauver les habitants. Il préféra s’enfuir en emportant sa précieuse marchandise, mais aussi tout l’argent et les objets de valeur qu’il pouvait prendre avec lui. Le vieil homme de la grotte fut lui aussi réveillé par le bruit des animaux affolés par le feu. Il sortit de sa grotte en courant, afin d’avertir les habitants d’un village voisin. Ceux-ci purent arriver à temps pour éteindre le feu. Il n’y eut fort heureusement aucune victime à déplorer. 

Au matin, les villageois se levèrent, comme d’habitude, heureux et insouciants. Ils ne se doutaient de rien, jusqu’au moment où ils virent l’entrepôt entièrement calciné. Ils s’aperçurent aussi que le marchand de rêves avait pris la fuite durant la nuit, emportant avec lui beaucoup de leurs biens. Les gens du village voisin leur apprirent tout ce qui s’était passé et comment le vieil homme de la grotte les avait alertés. Très touchés par le geste du vieil homme, les villageois décidèrent de lui rendre visite pour le remercier. Ils le trouvèrent dans sa grotte, où ils lui dirent combien ils étaient reconnaissants envers lui: 

• Merci beaucoup pour ce que tu as fait pour nous. Nous ne savons pas quoi dire. Nous sommes vraiment confus. Tu avais raison. Ce marchand s’est bien moqué de nous. 

• Ce n’est pas grave, répondit le vieillard! Au moins, le pire a été évité. Vous êtes sains et saufs, c’est l’essentiel. Certes, vous avez perdu vos biens et votre argent, mais vous avez retrouvé votre honneur et votre liberté. Cet incendie a eu le mérite de vous ouvrir les yeux sur la réalité, ou plutôt, de vous la révéler. En effet, c’est souvent dans les malheurs que les hommes montrent leur vrai visage. Que cela vous serve de leçon pour l’avenir! Dorénavant, ne vous fiez plus aux gens qui vous ferment les yeux, mais fiez-vous plutôt à ceux qui vous les ouvrent! 

C’est ainsi que le village reprit le cours paisible et ordinaire de sa vie, conscient désormais que le bonheur n’est pas une marchandise qui s’achète. 

FIN 

Actuailes n°184 - 11 décembre 2024