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J’ai 14 ans en Syrie, et j’ai peur… encore

08-03-2025 à 17:10:00

Depuis 2011, la guerre en Syrie a causé la mort de 530 000 personnes, autant que de victimes françaises pendant la Seconde Guerre mondiale. 

 

«Je n’ai connu que la guerre. Nous habitions Alep, la grande ville du nord. J’avais 4 mois quand a éclaté la révolution, en 2011.  

Il y a d’abord eu les affrontements meurtriers entre les militaires et les rebelles. Puis les bombes russes ont commencé à pleuvoir dès 2015, en appui des troupes gouvernementales. Mon papa est mort, en cherchant le corps de mon grand frère qui gisait sous les décombres. Nous n’avions plus de maison, alors nous avons fui vers Damas, la capitale. Mon petit frère, Khalid, est mort sur la route. De froid, de faim. C’était un bébé. Depuis, maman ne vit plus. Elle survit. 

J’ai 14 ans et je n’ai connu que la misère. Mon oncle Charbel s’est occupé de nous, à notre arrivée dans le quartier de Jobar. Il n’avait pas grand-chose à partager, mais il nous a ouvert ses portes. Depuis 2017, nous dormons dans une même pièce. Et les combats continuaient, partout, dans certains quartiers de Damas et dans le reste du pays. Dans les années 2020, les gens ont recommencé à essayer de travailler. J’avais 9 ans et j’aidais mon oncle à vendre des meubles. Mais les salaires étaient misérables. Et puis, souvent, les milices d’Assad, le président, venaient nous taxer. Mais on s’en sort. Nous arrivons à manger deux fois par jour. 

J’ai 14 ans et j’ai toujours peur. Les islamistes ont chassé le président Assad, fin 2024. Le nouveau chef de la Syrie, Abou Mohammed al-Joulani, en est un. Un dur. Un meurtrier. Mais il cache bien son jeu, ayant remplacé son treillis par un joli costume-cravate. Et ça marche. Les Occidentaux ont réduit les sanctions économiques qui frappaient mon pays. Il a même réussi à établir un accord commercial avec les Kurdes, qui habitent au nord-est du pays, pour acheter du pétrole. Alors, on dirait que ça va mieux. J’ai même découvert le chocolat hier, et c’est bon. Mais ils se trompent tous. C’est ce que dit mon oncle. Pour finir, al-Joulani veut rétablir la charia en Syrie, une loi musulmane très dure. Et le HTS, le mouvement islamiste dont il est le chef, le presse de le faire. D’ailleurs, les disparitions inexpliquées se multiplient. Depuis la semaine dernière, des combats ont lieu dans le quartier druze de Jaramana. Et les Israéliens menacent d’intervenir. 

J’ai vraiment peur. Peur que la guerre reprenne et que ma famille disparaisse. Je suis chrétien et le Carême a commencé. Alors, je vais offrir mes souffrances à Notre-Dame pour qu’elle sauve mon pays.» 

Ce témoignage aurait pu être celui de Youssef, Djibril ou Amin. L’avenir en Syrie est encore plus incertain que jamais. Al-Joulani se présente comme un artisan de paix. Mais le veut-il vraiment? Pas sûr. Quand bien même il serait de bonne foi, le pourrait-il? C’est encore moins sûr: le pays est morcelé, les différentes communautés se méfient, les combats se poursuivent çà et là et le HTS, cruel, maille le territoire. La relative stabilité du moment en Syrie n’est qu’un mirage. 

 

Gilles

 

Actuailes n°188 - 12 mars 2025 


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