Vendredi 10 septembre, Gazprom, le géant gazier russe, a soudé les derniers tuyaux du gazoduc NordStream2, ce qui signe la fin d’une interminable saga géopolitique et un triomphe pour l’Allemagne et la Russie.
Les lecteurs d’Actuailes se souviennent que ce gazoduc est au cœur d’un conflit politique majeur dans lequel les Allemands et les Russes d’un côté font face aux Américains qui multiplient depuis dix ans embûches, menaces et sanctions pour tenter de faire capoter ce projet très nuisible aux intérêts des États-Unis (Actuailes n° 127 du 10 février 2021).
Or, en juin dernier, Joe Biden a fini par céder face à Angela Merkel, très soutenue par les patrons de l’industrie allemande qui ont un besoin vital de gaz pour produire l’électricité nécessaire à leurs usines. Officiellement, Angela Merkel a promis à l’Ukraine (alliée des États-Unis) une aide économique pour compenser les pertes financières que va subir ce pays (l’Ukraine étant le lieu de transit principal du gaz russe vers l’Europe, elle touchait traditionnellement d’importants « droits de passage »).
Ce succès russo-allemand est une bonne nouvelle pour l’indépendance énergétique de l’Allemagne et pour les entreprises européennes que les Américains avaient commencé à menacer de procès ruineux. En revanche, il est à craindre que l’Allemagne ne soit désormais tentée de faire cavalier seul dans l’énergie au détriment de ses voisins, notamment de la France.
En effet, toujours cet été et toujours dans le domaine de l’énergie, les Allemands ont montré que « en matière de politique étrangère, il n’y a pas d’amis, seulement des intérêts ». L’Allemagne a obtenu de la Commission européenne le rejet d’une demande française, dans un domaine pourtant essentiel pour la France : l’énergie nucléaire. À la demande des Allemands, l’énergie nucléaire ne sera pas éligible aux centaines de milliards d’euros des plans de relance énergétique de l’Union européenne.
Ce camouflet majeur infligé au partenaire français montre que le « couple franco-allemand » est en instance de divorce – car il n’est que le dernier camouflet d’une longue série. Dans l’industrie de défense par exemple, le dossier de char d’assaut franco-allemand s’est fait au profit très net de l’industrie allemande. De même, la négociation du futur avion de combat commun, le SCAF, est très difficile car les industriels allemands essaient de s’arroger la meilleure part du projet (encouragés par le succès qu’ils ont historiquement rencontré dans Airbus où ils ont su s’approprier d’importants pans de l’entreprise au fil des années).
Il est vrai que, vu du côté allemand, les deux dernières décennies ont fait douter de la fiabilité du partenaire français. Angela Merkel qui quitte le pouvoir ce mois-ci après seize ans au poste de chancelière, aura vu défiler un nombre incalculable de gouvernements français successifs, rendant difficile l’établissement d’une relation suivie. De même, la chute économique de la France – qui n’a jamais pu tenir les critères de déficit auxquels elle est astreinte depuis l’entrée dans l’euro en 2002 – fait douter du sérieux français.
Et il y a fort à craindre que les élections législatives prévues en Allemagne le 26 septembre prochain viennent encore fragiliser cette relation bilatérale ; en effet, les sondages prédisent que la majorité au Bundestag sera probablement une coalition avec les partis de gauche et d’écologie radicale, dont l’intransigeance sur les sujets d’énergie et d’armement est justement une des causes des récentes tensions au sein du « couple franco-allemand »…
Siegfried
Actuailes n° 134 - 15 septembre 2021
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