Un rapport d’experts vient d’être présenté ce mardi 30 avril à Emmanuel Macron, préconisant des mesures radicales concernant l’utilisation des écrans par les mineurs.
Quelles sont ces mesures et pourquoi ? Qu’en disent les études?
Les mesures
Les experts demandent ainsi au président l’interdiction stricte de tout écran avant 3 ans, puis que ce soir très règlementé entre 3 et 6 ans. Ils préconisent aussi de n’autoriser le téléphone portable qu’à partir de 11 ans, et sans Internet jusqu'à 13 ans.
À partir de 13 ans, ils proposent de donner un smartphone sans accès aux réseaux sociaux, puis d'ouvrir cet accès à partir de 15 ans, uniquement sur des réseaux qualifiés d’«éthiques». L’accès aux réseaux sociaux comme TikTok, Instagram ou Snapchat n’est pas recommandé avant l’âge de 18 ans.
Les études sur notre cerveau
Notre cerveau est plastique, ses connexions neuronales s’adaptent à son environnement, et ce de façon d’autant plus importante que nous sommes jeunes (notre cerveau est en développement actif jusqu’à 25ans). C’est la neuroplasticité. Et c’est sur cela que reposent beaucoup de constats neuroscientifiques de l’effet global des écrans sur notre cerveau.
Des études ont montré, par exemple, un retard du développement du langage et de la lecture proportionnel au temps passé devant les écrans (1). En utilisant l’imagerie par résonance magnétique (IRM), elles ont ainsi montré une baisse de connectivité neuronale dans la région responsable du langage.
Mais le temps passé devant les écrans par les enfants n’est pas le seul responsable. Nous, parents, avons aussi notre part de responsabilité, si nous sommes hyperbranchés. Cela entraîne, de fait, un échange verbal plus pauvre, échange nécessaire dans la construction du langage de l’enfant.
Un cerveau unitâche
Notre cerveau, contrairement à ce que l’on peut croire, n’est pas fait pour traiter une multitude de choses à la fois (hors les tâches automatiques comme le fait de courir ou marcher).
En effet, lors de la réalisation d’une tâche unique, le cortex préfrontal droit et le cortex préfrontal gauche sont activés. Si l’on introduit une deuxième tâche, chaque hémisphère traitera une tâche indépendamment de l’autre. Mais, si l’on ajoute une troisième tâche, le traitement de l’information s’en trouvera perturbé et le nombre d’erreurs augmentera considérablement, notre cerveau perdant en rendement et générant du stress.
Or les outils numériques favorisent ce mode multitâche en nous bombardant constamment de notifications et d’avertissements. Difficile de garder le fil de nos pensées dans ce contexte!
Pour confirmer cette affirmation, une étude américaine a montré en 2018 que des adolescents qui n’avaient pas de TDAH (troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité) les développaient après 2ans d’utilisation active d’écrans (2).
D’autre part, ce phénomène de «scrolling (défilement)» ne laisse aucune pause cérébrale (qui lâche son téléphone avant d’entrer aux toilettes, par exemple?). En effet, il n’y a plus aucun moment d’ennui, car il est immédiatement comblé par l’écran. Or, dans le cerveau, le réseau du «mode par défaut» est celui qui s’active quand on laisse libre cours à ses pensées. Les régions cérébrales qui s’activent de façon synchrone pour former ce réseau jouent un rôle essentiel dans le bon fonctionnement de la mémoire, des émotions et de l’introspection. Cette activité «à défaut», méditative, autobiographique (réflexion sur soi, son avenir…) est donc essentielle pour le développement cérébral.
Pour arriver à ce constat, les chercheurs Kang Sanghoon et Kurtzberg Terri R. ont demandé à des étudiants de remplir différentes tâches et de résoudre plusieurs problèmes. Ceux qui ont fait une «pause portable» pendant cette épreuve ont pris 19% de temps en plus pour terminer leur tâche et ont résolu 22% de problèmes en moins par rapport au groupe test. Il était également noté de meilleurs résultats dans le groupe sans portable (3).
Une autre étude (4) récente montre que des étudiants arrivent à de bien meilleurs résultats scolaires après une pause de 5 minutes sans activité (et sans téléphone).
Portables et addiction ?
Nous avons parlé du phénomène d’addiction avec la récompense dopaminergique qui mène à toujours plus consommer pour être satisfait (cf. Actuailes n°161 ). Et l’écran peut développer cette problématique, notamment par les jeux vidéo ou les réseaux sociaux.
Des études américaines ont démontré que les jeunes exposés développaient une plus grande impulsivité, une plus grande distractibilité (le fait de ne pas réussir à fixer son attention), une augmentation du temps de réaction, une baisse de la mémoire de travail, une baisse du pouvoir décisionnel.
Portables et amis ?
Enfin, il y aurait une concurrence entre l’utilisation des écrans et les liens sociaux directs.
Cela rendrait les adeptes de technologies numériques moins aptes à être empathiques. Une étude (5) a porté sur une centaine de pré-adolescents, dont la moitié s’est servi de ses technologies habituelles et l’autre a participé à un camp en forêt sans écran. Au bout de cinq jours, les habiletés émotionnelles (capacité à l’empathie, capacité à s’insérer dans un groupe, etc.) des campeurs étaient meilleures que celles de l’autre groupe.
Nous pourrions également parler des risques de harcèlement, d’obésité (6) et autres complications médicales de l’absence d’exercice physique remplacé par l’écran statique, des troubles du sommeil (7) ( cf. Actuailes n°159 ), de la forte augmentation du risque de myopie (8), etc.
La nouveauté nous a éblouis et a probablement conduit à nous laisser dépasser par ces technologies. Il est donc nécessaire de communiquer sur les risques pour redevenir maîtres de ces outils. Les recommandations du rapport d’experts de repousser au maximum la possession d’un téléphone portable sont bien légitimes à la lumière de ces études, échantillons parmi les multiples études sur ce thème. Nous n’oublions néanmoins pas les avantages de ces derniers, mais nous gardons toujours en tête que nous devons rester sujet (celui qui décide et qui dirige) et non objet… Et la maturité aide pour ce travail…
A lire et voir aussi
https://www.actuailes.fr/page/3053/l-ecran-mon-cerveau-et-moi
(1) https://jamanetwork.com/journals/jamapediatrics/fullarticle/2754101
(2) https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2687861
(3) https://akjournals.com/view/journals/2006/8/3/article-p395.xml
(4) New study finds an unstructured 5-minute break can help restore attention, Paul Ginns, Juillet 2023, Medical Xpress
(5) https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0747563214003227
(6) https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5769928/
(7) https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25193149/
(8) https://www.aaojournal.org/article/S0161-6420(17)33464-4/abstract
Derrière nos écrans de fumée https://www.actuailes.fr/page/3134/the-social-dilemma-derriere-nos-ecrans-de-fumee
Dr Emmanuelle Fernex
Actuailes n°176 - 15 mai 2024
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