Ce matin, le réveil est dur… Plus dur encore : partir dans le froid retrouver les collègues des urgences : internes, puéricultrices, auxiliaires, tous ceux qui vont travailler, eux aussi, en ce week-end de Noël…
La journée démarre calmement, quelques tout petits bébés arrivent que nous avons convoqués de nouveau ce matin pour vérifier que leur état n’a pas empiré pendant la nuit (les nouveau-nés sont si fragiles !) ; une ou deux grosses fièvres ; et des parents qui espèrent que nous allons guérir tout le monde pour pouvoir profiter des fêtes de famille…
Alexane, une interne, vient me présenter un patient qui la laisse perplexe : un petit garçon, Yamine, qui semble très fatigué, un peu endormi et qui n’a rien mangé depuis ce matin. Il n’a pas de fièvre, pas d’autres symptômes, mais sa maman ne le trouve « pas comme d’habitude ». Je pose une main sur son petit ventre de 2 ans : son visage est tout contracté. Je décide de l’envoyer faire une échographie de l’abdomen en expliquant à Alexane que, chez les petits, certaines occlusions (lorsque l’intestin se coince et cesse de fonctionner) peuvent se manifester par un tel changement d’attitude.
En début d’après-midi, alors que la salle d’attente déborde, j’examine un bébé de 3 mois qui ne bouge plus sa jambe droite depuis trois jours. Ses parents m’expliquent qu’il est gardé par une nourrice qui le leur a fait remarquer la veille. Il n’est pas tombé, n’a pas de fièvre, ils ne comprennent pas.
Quand je l’examine, Théo est tout sourire, essaye d’attraper mon stéthoscope, joue à cache-cache avec moi… jusqu’à ce que j’examine ses hanches et l’oblige à étendre sa jambe : il se met alors à hurler, sa maman a bien de la peine à le consoler. Je lui prescris une radio et une prise de sang, à la recherche d’une fracture ou d’une infection qui expliqueraient ses symptômes.
La radiologue me rappelle : Bingo ! C’est bien une occlusion, qu’on appelle une invagination : Yamine va partir avec le chirurgien pour qu’il déplisse son intestin avant que celui-ci ne s’abîme. Alexane se souviendra longtemps qu’il faut penser au ventre devant un tout-petit « pas comme d’habitude… » : à l’hôpital, on apprend tous les jours !
En revanche, après une série de gastroentérites, je reprends le dossier de Théo : il a une grosse fracture du fémur (l’os de la cuisse). Les parents pâlissent, quand je le leur annonce. Nous pensons tous à la même chose : il est impossible qu’un tout-petit se fasse cette fracture tout seul. Il va falloir comprendre ce qui s’est passé et mon travail de médecin m’oblige à envisager qu’il ait été maltraité. Je dois donc le garder à l’hôpital, rechercher d’autres fractures, des hématomes et signaler l’épisode aux services qui s’occupent de la protection des enfants ; une enquête doit être faite.
C’est difficile et délicat pour tout le monde : ne pas accuser sans savoir, ne pas avoir d’a priori, mais protéger Théo. Quelle que soit l’issue de cette démarche, comme c’est difficile pour les parents !
L’après-midi s’achève, voilà l’équipe qui nous relève pour la nuit. Chacun part retrouver les siens et je vais fêter l’arrivée de cet Enfant qui lui aussi, un jour d’hiver, avec ses parents, a traversé des moments difficiles… avant une grande joie !
Anne-Sophie Biclet
Actuailes n° 78 – 13 décembre 2017
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