François-Xavier de Boissoudy, comment êtes-vous devenu peintre ?
Lorsque j’étais enfant, je ne savais pas nommer les choses, alors, je les dessinais, je confiais ma vie à mes petits dessins. Il fallait que je fasse quelque chose de mes blessures d’enfance2, que je passe par un autre média que la parole, d’autant que l’école ne m’intéressait pas. Je ne suis pas un génie du dessin, ni un spécialiste, mais je m’en sers. J’ai beaucoup appris en regardant les autres dessiner, plus qu’avec des professeurs. J’étais fasciné par Hugo Pratt3, en particulier par la lumière qui se dégageait de ses dessins.
Qu’est-ce qui vous a fait persévérer dans cette voie ?
Dès que j’ai pu pardonner à la personne qui m’avait blessé, je me suis autorisé à devenir peintre. Ma vie a été transformée quand je suis passé du nombrilisme le plus aigu (ma souffrance) à la recherche de la relation. J’ai été bouleversé, émerveillé par une présence aimante. À présent, je choisis d’être un témoin, de montrer la vérité, de représenter, au travers de mes tableaux, ce que j’ai vu.
Et l’art dans tout ça ?
L’art est une indication de ce qui est le plus important, de ce qui est vital. L’art est fait pour ceux qui ne savent pas lire. La raison d’être de l’art est d’être sacré, même dans l’art non religieux. Une œuvre doit se suffire à elle-même et nous montrer l’invisible, la présence au travers d’objets du quotidien très simples. L’art doit parler à ceux qui ne peuvent pas lire et découvrent l’émerveillement dans les œuvres. S’émerveiller, c’est recevoir quelque chose de plus grand que soi.
Quand je peins Marie, figure que j’ai choisie pour mon exposition actuelle, j’essaie de représenter l’émerveillement, que ce soit avec son enfant, avec Syméon, dans une piéta. En même temps, je montre qu’elle a eu un quotidien.
Être peintre hier et l’être aujourd’hui, est-ce la même chose ?Les techniques peuvent changer, mais, bien sûr, des permanences existent, elles résident essentiellement dans la sacralité du quotidien. L’art ne vaut rien si c’est juste un savoir livresque.
Vos œuvres sont à base de lavis. Pourquoi ne réaliser que des tableaux en noir et blanc4 ?
J’ai choisi le noir et blanc car, à la base, je suis dessinateur. Le dessin est le moyen le plus simple de traduire quelque chose. J’ai abandonné la couleur pour me concentrer sur la lumière. L’eau des lavis permet de transformer la couleur en valeur et lumière, et de l’embellir.
J’utilise aussi des touches de bleu et de rouge, qui permettent d’obtenir des teintes plus chaudes ou plus froides pour ne pas être uniquement dans le gris. L’absence de couleur m’oblige à dire l’essentiel, à être sobre, c’est une ascèse. Je m’intéresse aux gestes, ils ont un langage, j’en cherche la justesse. Il n’y a pas de geste insignifiant.
Que diriez-vous à un jeune qui veut faire de l’art sa profession ?
Je veux, je veux...Un jeune qui dessine bien ne deviendra pas nécessairement un artiste. Ce n’est pas d’abord une volonté, cela vient de l’intérieur. En tout premier lieu, un travail de méditation est nécessaire. Je suis devenu peintre quand j’ai décidé d’être moi-même, j’ai demandé à aimer et j’ai reçu. Cela rend intelligent d’aimer. On n’a pas toujours conscience de ses richesses, le changement que j’ai vécu dans ma vie, ma rencontre avec Dieu, m’a donné accès à ces ressources.
1. Galerie Guillaume, 32, rue de Penthièvre, 75008 Paris – www.galerieguillaume.com.
2. François-Xavier de Boissoudy a été abandonné à la naissance, puis adopté.
3. Dessinateur italien, son héros de bande dessinée le plus connu est Corto Maltese.
4. François-Xavier de Boissoudy utilise principalement le lavis d’encre sur papier dans ses œuvres : l’encre noire est comme « lavée » avec l’eau versée sur le dessin. En fonction de la quantité d’eau versée, le gris ou noir sera plus ou moins intense et la lumière semblera plus ou moins vive. Il n’y a aucun ajout de blanc.
Sophie Roubertie
Actuailes n° 70 – 24 mai 2017
Marie chez elle, 2016, 125x110 cm (photo Luc Paris)
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