La loi El-Khomri n’en finit plus de faire l’actualité ! Après les manifestations, c’est maintenant les conditions de vote de cette loi qui font polémique et ce depuis que le gouvernement Valls a pris la décision de la faire adopter selon l’article 49.3.
Pour bien comprendre le mécontentement qui a découlé de l’utilisation de cet article, il faut savoir que, normalement, c’est le Parlement (l’Assemblée nationale puis le Sénat) qui vote la loi, après avoir débattu du contenu du texte et proposé puis voté des amendements (c’est-à-dire des modifications du texte de la loi). La loi ne peut être votée que si l’Assemblée nationale puis le Sénat se sont mis d’accord sur le même texte.
Or, l’article 49, alinéa 3, permet à un gouvernement de faire passer une loi sans passer par le Parlement.
Que dit cet article ?
L’article 49.3 prévoit la possibilité, pour le Premier ministre, « d’engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée » sur le vote d’un projet de loi de finances, de financement de la Sécurité sociale ou d’un autre projet de loi, une fois par cession parlementaire. Le Premier ministre ne peut le faire qu’après avoir obtenu l’autorisation du conseil des ministres (c’est-à-dire de tout le gouvernement réuni) ; ce qui a été fait le 10 mai 2016.
En réponse à l’utilisation de cet article, l’Assemblée peut, soit ne rien faire et donc accepter que la loi, soit votée sans passer par elle, soit déposer une motion de censure, c’est-à-dire un recours indiquant son oppo-sition au gouvernement.
Pour être recevable, une motion de censure doit être signée par au moins un dixième des membres de l’Assemblée nationale (soit cinquante-huit députés). Elle doit être déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent le recours à l’article 49.3. Le vote sur cette motion de censure ne peut avoir lieu que deux jours après son dépôt. La motion de censure est alors adoptée si la majorité des membres de l’Assemblée nationale (289 députés) votent pour.
Si jamais la motion de censure est adoptée, cela entraîne l’échec du projet de loi du gouvernement et un désaveu cinglant qui peut conduire à la démission du gouvernement (c’est pour cela qu’on dit que le gouvernement « engage sa responsabilité ») et à la dissolution de l’Assemblée nationale (c’est-à-dire qu’il est mis fin au mandat des députés et on organise de nouvelles élections).
Du fait de cette menace de dissolution, les députés craignent souvent de voter en faveur d’une motion de censure.
D’ailleurs, depuis l’adoption de la Ve Répu-blique en 1958, une seule motion de censure a été adoptée en 1962 lors du projet de loi pour modifier les modalités de l’élection du président de la République que le général de Gaulle voulait voir élu au suffrage universel (comme c’est le cas aujourd’hui). Cela avait entraîné à l’époque la démission du gouver-nement, la dissolution de l’Assemblée natio-nale et l’organisation d’un référen-dum qui avait conduit à l’adoption de la réforme.
Les 11 et 12 mai 2016, deux motions de censure ont été déposées, la première par des députés de gauche, la deuxième par les députés du parti Les Républicains. Mais, finalement aucune des motions n’a réuni assez de suffrages et la loi El Khormi a été adoptée.
Pourquoi l’utilise-t-on ?
Le gouvernement utilise généralement l’article 49.3 lorsqu’il sait que la majorité des députés n’est pas en faveur de son projet de loi et que ce dernier risque d’être rejeté ou d’entraîner des débats extrêmement longs. C’est ce qu’il s’est passé pour la loi El Khomri pour laquelle les députés « frondeurs » (députés faisant partie de la majorité du Parti socialiste, mais fréquemment hostiles aux projets de loi du gouvernement Valls) avaient averti qu’ils voteraient contre. Le gouvernement Valls craignait donc que la loi El Khomri soit rejetée par le Parlement.
Même si le gouvernement Valls avait le droit d’utiliser cet article, cela a été très critiqué pour deux raisons principales. D’abord parce que cela a privé les députés de leur mission qui est de voter ou rejeter les lois au nom du peuple. Ensuite, parce que l’utilisation de cet article avait été très critiquée par François Hollande en 2006 qui avait indiqué que « Le 49.3 est une brutalité, le 49.3 est un déni de démocratie, le 49.3 est une manière de freiner et d’empêcher le débat parlementaire », puis par Manuel Valls qui s’était prononcé, à la même époque, pour la suppression de cet article.
En réalité, on se rend compte que tous les gouvernements ont utilisé cet article depuis 1958. Au-delà de la privation des pouvoirs de l’Assemblée nationale, cela démontre les plus grandes difficultés pour tous les gouvernements à faire passer des lois comportant des changements importants. C’est ce que révèle l’utilisation de l’article 49.3…
Actuailes n° 53 – 25 mai 2016
Actuailes 2024 © Tous droits réservés. Conditions d'utilisation with & by Website-modern - Se connecter