Franck Perletto, 53 ans, est jugé depuis jeudi dernier par la Cour d’assises des Bouches-du-Rhône à Aix-en-Provence, pour un braquage au cours duquel deux convoyeurs de fonds ont été tués. Cette affaire ne présenterait pas plus d’intérêt qu’une autre affaire de banditisme classique si les faits ne s’étaient pas produits… en 1990, c’est-à-dire il y a vingt-six ans !
Pourquoi a-t-il fallu attendre plus d’un quart de siècle pour juger une affaire qui ne présentait pourtant pas de complexité particulière ?
Ce n’est pas l’ampleur de l’affaire qui le justifie, ni le fait que les personnes mises en examen pour ce braquage aient tenté de faire durer l’enquête. C’est plutôt parce que, durant l’instruction (enquête menée par le juge), pas moins de dix juges d’instruction se sont succédés avec parfois des périodes de deux années pendant lesquelles il ne se passait plus rien !
Ce si long délai nous amène à nous poser la question de savoir si la justice peut être bien rendue dans ces conditions. En effet, dans le cas de ce braquage, le seul convoyeur survivant est décédé en février dernier, et les témoins, qui craignent de ne plus être capables de raconter précisément ce qu’ils ont vu, ne veulent plus venir témoigner !
Pour tenter de lutter contre ces délais trop longs, les droits français et européen ont tous deux prévus des dispositions qui énoncent que toute personne a droit à ce que sa cause soit enten-due équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant impartial (article L 111-3 du Code de l’organisation judiciaire et article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme).
Sur le fondement de ces dispositions légales, l’État français a été plusieurs fois condamné par le Conseil d’État à indemniser les personnes qui avaient subi ces procédures trop longues. La Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) condamne aussi la France très régulièrement (environ dix fois par an) en raison de ces délais de procédure trop longs.
Pour vérifier que la longueur de la procédure est justifiée, la CEDH prend en compte trois critères : la complexité de l’affaire, l’enjeu du litige et le comportement des parties (par exemple un mis en examen qui se présente sans avocat peut obtenir un renvoi de l’affaire jusqu’à ce qu’un avocat commis d’office lui soit attribué, ce qui peut faire perdre du temps).
Mais, si une personne poursuivie par la justice peut recevoir une indemnisation en raison de la longueur de la procédure, cette indemnisation n’a aucune incidence sur la condamnation. Cela signifie qu’une personne condamnée qui a été indemnisée en raison de la lenteur de la procédure reste condamnée.
Cela peut être compliqué de comprendre, sur le plan moral, que l’on puisse indemniser des tueurs en raison d’une procédure trop longue, mais il faut pourtant essayer de l’admettre, car cela a pour but d’assurer le bon fonctionnement d’une démocratie dans laquelle la qualité de la justice tient une place essentielle.
Actuailes numéro 51 - 27 avril 2016
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