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Depuis un mois, l’actualité sociale est chargée. Pas un jour ne passe sans que l’on n’entende parler des grèves : des cheminots d’abord, des étudiants ensuite et du personnel d’Air France pour finir. Une autre mobilisation est passée plus inaperçue : celle des avocats, magistrats et greffiers qui se mobilisent contre la prochaine réforme de la justice.
En effet, deux journées de « justice morte » se sont déroulées le 30 mars et le 11 avril dans les tribunaux français. Durant ces deux jours, le mot d’ordre avait été donné aux avocats de ne pas plaider et de demander le renvoi des affaires à une autre audience. Ainsi, au cours de ces deux journées, très peu de procès se sont finalement tenus.
Ce mouvement pourrait prendre de l’ampleur ces prochaines semaines lorsque le projet de loi sera présenté en Conseil des ministres. C’est donc l’occasion de s’arrêter sur les inquiétudes du « monde du droit ».
Depuis de nombreuses années, les magistrats s’inquiètent d’un budget de la justice trop faible et réclament plus d’effectifs. Il est vrai que certains tribunaux sont débordés et mettent plus de deux ans à juger une affaire quand ce n’est pas davantage ! Cela est préjudiciable aux citoyens, qu’ils soient victimes ou poursuivis, et peut également remettre en question la qualité des décisions rendues.
En parlant de réforme de la justice, c’était donc une hausse du budget, davantage de magistrats et l’assurance d’une justice de qualité qu’attendaient les juges et les avocats.
Or, plutôt que de répondre favorablement à la demande des magistrats, il semble que le gouvernement prenne une autre voie pour résoudre le problème d’encombrement des tribunaux. En effet, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, pourrait annoncer la semaine prochaine les mesures suivantes :
– La disparition de certains tribunaux d’instance
Pour comprendre cette mesure, il faut savoir qu’il existe en France des tribunaux appelés « tribunaux d’instance » qui sont compétents pour juger tous les petits litiges civils de la vie quotidienne. Il peut s’agir des litiges entre voisins, des litiges entre propriétaires et locataires et plus globalement de toutes les affaires dont l’enjeu est inférieur à 10 000 euros. À la différence des tribunaux de grande instance (compétents pour tous les autres litiges civils), on trouve plusieurs tribunaux d’instance par département.
Ces tribunaux sont donc perçus comme des juges de proximité. Ils sont d’ailleurs également appelés ainsi. Or, la garde des Sceaux souhaiterait rattacher environ trois cent sept tribunaux d’instance aux tribunaux de grande instance. Cela aurait pour conséquence de faire disparaître ces tribunaux et donc de rendre la justice moins accessible pour de nombreux citoyens qui pourraient hésiter à faire plus de cent kilomètres pour faire juger un petit litige.
– Une dématérialisation de la justice
Pour pallier la disparition des tribunaux d’instance, le gouvernement pourrait mettre en place une dématérialisation de la justice pour certains petits litiges. Celle-ci permettrait aux justiciables de déposer leur réclamation en ligne. Il n’y aurait donc pas d’audience tenue physiquement ni de rencontre avec un juge ou un avocat. Les magistrats et les avocats dénoncent le risque de ces procédures qui, d’une part, pourraient engendrer une « déshumanisation de la justice » et, d’autre part, pourraient faire perdre aux citoyens la compétence d’un avocat à même de les conseiller au mieux.
– La disparition du juge d’application des peines
Il existe également en France des juges d’application des peines, appelés « J.A.P. », qui sont chargés des modalités d’application d’une peine. Ce juge décide des permissions de sortie des détenus, d’une mesure de semi-liberté ou d’une mesure de libération conditionnelle. Le projet du gouvernement serait de supprimer ces juges dans les petits tribunaux.
Là encore, les magistrats et les avocats s’inquiètent de ces suppressions qui pourraient avoir des conséquences sur les citoyens. Par exemple, les personnes non détenues qui doivent faire l’objet d’un suivi par le juge d’application des peines et qui sont souvent en situation précaire pourraient ne pas avoir les moyens de se rendre dans des tribunaux plus éloignés.
Ces réformes sont pour le moment au conditionnel, puisque le contenu de la réforme justice n’a pas encore été annoncé ! Cette mobilisation a donc certainement comme objectif de prévenir la ministre de la Justice de la détermination des magistrats et des avocats à faire en sorte que leurs inquiétudes soient prises au sérieux.
Il semble aussi que l’origine de l’opposition se trouve dans le défaut de négociation et de concertation entre la ministre, les avocats et les magistrats, à l’heure où une réforme de la justice s’impose. En effet, les professionnels du droit reprochent au cabinet de la ministre d’avoir élaboré un projet de réforme sans même prendre le temps de les rencontrer ni de les entendre.
Virginie Terrier
Actuailes n° 84 – 18 avril 2018
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